Coopérer, collaborer, jouer collectif… le « co » est à l’ordre du jour en entreprise. Les bases d’un « petit manuel de coopération » sont alors utiles afin de s’y repérer.

Maîtriser les règles

Faire le constat que l’on travaille toujours avec d’autres, qu’il existe un gap entre le travail prescrit et le travail réel, que tout ne peut être formalisé ou contractualisé, que la rationalité requiert une part d’intuition (le fameux « Eurêka » d’Archimède !)… constituent autant d’indices en faveur d’une démarche de coopération en entreprise.

A ce titre, les travaux de France Henri et Karin Lundgren-Cayrol, par exemple, sont utiles qui opèrent une distinction entre travail coopératif et collaboratif à partir de 4 critères :

  • Le partage du travail. Dans un groupe coopératif, chacun réalise une partie de la tâche et le travail est réalisé seulement quand tous les membres ont fait leur part du travail. Dans un groupe collaboratif, chacun réalise la tâche à sa manière et 2 productions sont faites en parallèle : une production collective et les productions individuelles.
  • L’encadrement du travail. Dans un groupe coopératif, le niveau de contrôle est fort et le niveau d’autonomie de chacun relativement faible. Dans un groupe collaboratif, c’est l’inverse.
  • Les interactions entre les acteurs. Dans un groupe coopératif, la complémentarité des tâches crée un sentiment de dépendance réciproque. Dans un groupe collaboratif, c’est la mise en commun des idées qui prime et les interactions ont plutôt un caractère « associatif ».
  • La définition du but à atteindre. Dans un groupe coopératif, le but est une production commune et c’est le groupe en tant qu’entité qui atteint le but. Alors que dans un groupe collaboratif, chacun utilise l’ensemble des ressources du groupe pour atteindre son but et contribuer ainsi à l’atteinte du but commun.

Il existerait ainsi une « hiérarchie » entre travail coopératif et collaboratif. Faut-il alors préciser que si les chercheurs sont d’accord pour opérer cette distinction, certains considèrent que ce que l’on appelle travail coopératif est en fait du travail collaboratif et inversement. Dans tous les cas, rappelons qu’il n’existe pas de frontière étanche entre ces 2 modes de travail pouvant être choisis conjointement ou successivement en fonction des objectifs à atteindre et des acteurs en présence.

Choisir sa stratégie

Travailler avec les autres étant une évidence autant qu’une nécessité en entreprise, quelle stratégie de coopération adopter, trois options au moins se présentant ?

Dans la première option, nous constatons qu’il existe au sein des entreprises des relations affinitaires, fondées par exemple sur le don et le contre-don, permettant de coopérer au-delà ou malgré les modes de travail et d’organisation imposés. Cette option est cependant à considérer avec précaution. Parce qu’en alimentant le jeu des « affinités électives », elle renforce les logiques d’identités et d’appartenances « entre soi ». Et parce qu’elle tend à faire oublier que la logique de don et contre-don n’est pas si désintéressée, puisqu’en donnant on oblige l’autre non seulement à recevoir mais également à rendre, le plaçant ainsi en position de dépendance, voire de compétition.

Dans la deuxième option, une rationalité clairement plus « combative » est affichée. Prenons un exemple de la théorie des jeux pour l’illustrer. Deux prévenus, soupçonnés d’un même crime, sont enfermés chacun dans une pièce sans pouvoir communiquer. Le juge propose à chacun le marché suivant : « avoue ton crime et tu bénéficieras d’une remise de peine, mais si tu es dénoncé par ton complice, tu auras le maximum ». Si chacun est persuadé que l’autre ne dira rien, il a intérêt à garder le silence (ni se dénoncer, ni dénoncer l’autre) et les 2 recouvriront la liberté. En revanche, si chacun craint que l’autre parle, il a intérêt à dénoncer (soi-même ou l’autre), de sorte qu’en voulant minimiser le risque, il choisit une solution qui n’est pas optimale. En d’autres termes, dès qu’une décision implique d’autres personnes, elle dépend de ce que « l’on pense que les autres pensent », dans un jeu de miroirs à l’infini requérant la coopération et la confiance pour lever l’incertitude.

Dans la troisième option, il s’agit de sortir d’une coopération essentiellement affinitaire, tout en évitant le repli vers la somme des seuls intérêts individuels dont la coopération servirait à pallier les impasses. C’est là qu’intervient la dynamique de la co-construction fondée sur 3 partis pris principaux :

  • Le crédit d’intention, car c’est la confiance dans l’intelligence des autres qui favorise l’envie de coopérer.
  • La marge de manœuvre, car c’est en donnant ou redonnant des espaces de liberté que la coopération peut se déployer.
  • La mise en action, car c’est dans l’action que l’on s’engage et concrétise la coopération.

Passer à l’action

Passer à l’action en s’appuyant sur la co-construction constitue un moyen sûr de développer des pratiques de coopération. Reste alors à choisir ou combiner 3 modes d’intervention principaux dans lesquels déployer cette co-construction.

Le premier met l’accent sur la prise de conscience et l’envie ainsi que sur les intérêts bien compris et les outils adéquats. Utile, ce mode d’intervention est néanmoins assez réducteur.

Le deuxième utilise la dynamique « systémique » c’est-à-dire les interactions individuelles et collectives. C’est d’ailleurs en observant les pathologies liées à certaines tensions ou contradictions dans ces interactions que l’analyse systémique s’est développée. Inutile donc, par exemple, de promouvoir la coopération si tous les dispositifs RH et managériaux promeuvent, eux, l’individualisme, à moins d’admettre que la « double-contrainte » constitue le régime de marche de l’entreprise.

Le troisième se fonde sur la « culture » de l’entreprise dans sa définition anthropologique selon laquelle une entreprise est constituée de 4 champs en interaction :

  • Le champ des identités : professionnelles, métiers…
  • Le champ de l’organisation : du travail, de la production…
  • Le champ du pouvoir : hiérarchie, réseaux d’influence…
  • Le champ des systèmes de pensée : management, valeurs…

Son intérêt se situe sur au moins 3 plans :

  • Il bouscule la hiérarchie couramment admise entre l’organisation et les systèmes de pensée, ces derniers étant souvent considérés comme venant s’ajouter, voire perturber l’organisation. En effet, l’organisation est « pensée » avant d’être mise en œuvre et relève donc des systèmes de pensée dont elle est l’une des productions.
  • Il redimensionne dans l’entreprise l’impact des jeux relationnels dans la mesure où chacun des champs se concrétise dans des relations : relation d’identités, de production, de pouvoir et relations de connaissance ou de croyances.
  • Il repositionne les objectifs et modes d’action en les inscrivant dans l’ensemble des champs de l’entreprise. A ce titre, vouloir modifier certains comportements nécessite de piloter les réagencements entre les 4 champs rendant possible de nouvelles pratiques.

Sauter dans l’inconnu

Enfin, les bases de ce petit manuel resteraient incomplètes si elles ne revenaient, pour conclure, sur une évidence parfois oubliée : les « tendances et modes » en entreprise aident à repérer les enjeux et tensions à l’œuvre. Ce que la recherche de coopération fait à sa manière, nous rappelant, selon la formule de Maurice Godelier, que « Les humains, à la différence des autres espèces sociales, ne vivent pas seulement en société : ils produisent de la société pour vivre ».

L’article sur Les Echos.fr

L’article sur le blog de souriezvousmanagez.com