Suite de la revue des pratiques so chic parmi les cadres. Après le chant, l’escalade surtout indoor.
Et pour démarrer, rien ne vaut Tom Cruise dans le générique de Mission Impossible 2. Un pur moment d’anthologie. Si, si !!
C’est le nouveau sport-fitness à la mode chez les cadres. L’escalade est tendance, notamment dans sa version indoor, très urbaine. Elle développe la concentration, la confiance en soi – et dans les autres – et l’esprit de décision.
« Quand je grimpe, je me concentre sur le mur, j’oublie complètement les tensions de la journée et ça fait une réelle coupure », s’enthousiasme Claire Lemoine, Parisienne de 31 ans, chargée de clientèle dans une société d’études de marché. Pratiquante assidue depuis trois ans, elle a volontairement choisi une salle à dix minutes de son travail pour pouvoir y aller entre midi et deux ou le soir à la sortie du bureau. Comme elle, des milliers de Français se mettent à l’escalade en salle chaque année, que ce soit dans le cadre de la Fédération française de la montagne et de l’escalade (FFME), dont les clubs gèrent 2 000 murs, ou dans des salles privées, qui sont plus de 70 actuellement dans l’Hexagone.
« En vingt ans, on est passé de 35 000 à 93 000 licenciés grâce à l’escalade, et notamment à l’escalade indoor », c’est-à-dire sur des structures artificielles en salle, indique Pierre-Henri Paillasson, directeur technique national de la FFME. Mais le nombre de grimpeurs non licenciés, occasionnels ou réguliers, est bien plus important : la fédération l’estime à 1 million. « C’est devenu la nouvelle forme de fitness, juge Pierre-Henri Paillasson. Des salles d’escalade privées se montent un peu partout en France depuis deux ou trois ans. Ce business devient intéressant financièrement. » Ce n’est pas Benoît Lacroix, président et cofondateur de The Roof, qui va le contredire. « Il y a certes de gros investissements de départ, mais ensuite la marge brute est importante car ce n’est que du service. On est en excédent de trésorerie permanent puisque les gens payent leur abonnement avant de le consommer. » Après l’ouverture d’une première salle de « bloc » – de l’escalade sans corde sur des murs de faible hauteur – à La Rochelle il y a deux ans et demi, The Roof en a inauguré une deuxième à Bayonne en janvier, et une troisième doit voir le jour cet été à Brest. « Si ça marche à La Rochelle, on démontre qu’il est possible de s’installer partout », s’amuse Benoît Lacroix, tant cette ville est loin des traditionnels lieux de grimpe naturels en France.
Bientôt une place aux JO ?
Pourquoi l’escalade, dont Paris accueillera les championnats du monde mi-septembre (http://worldclimbing2016.com/fr) et qui pourrait être officiellement enregistrée comme discipline olympique en août, rencontre-t-elle un tel succès ? Si la multiplication des structures artificielles dans les centres urbains en est un facteur, tout comme l’enseignement de l’escalade en milieu scolaire depuis de nombreuses années, cet engouement est également dû aux qualités intrinsèques de la grimpe. « L’escalade est un sport où l’on oublie tous ses problèmes. Lorsqu’on court ou qu’on fait du vélo, on peut encore penser au quotidien, au boulot. En escalade, on est obligé d’évacuer, de se concentrer sur ses mains et sur ses pieds », juge François Petit, ancien champion du monde et aujourd’hui à la tête du réseau Climb Up (sept salles en nom propre). « En escalade, on doit toujours être concentré, on est quand même responsable de la personne qu’on assure et, en grimpant avec elle, on lui confie sa vie », témoigne Éric Bauvin, un médecin de 47 ans qui coordonne un réseau de cancérologie. L’escalade apprend ainsi à « très bien gérer son stress », estime pour sa part Pierre Chappaz, 57 ans, président exécutif de Teads (publicité vidéo en ligne), qui grimpe depuis son adolescence. « Si vous avez du mauvais stress, vous tomberez parce que, neuf fois sur dix, c’est la tête qui vous dit que vous n’y arriverez pas », assure-t-il. « C’est un sport qui aide à gagner plus de confiance en soi, à se sentir serein et qui permet de se vider complètement du stress de la vie quotidienne », complète Anne Derenne, 32 ans, comptable et illustratrice.
« C’est aussi un sport où l’on prend en permanence des décisions qui vont induire la réussite ou l’échec. C’est une capacité très intéressante à développer pour son quotidien, par exemple lorsqu’on est entrepreneur ou lorsqu’on a des responsabilités », ajoute Benoît Lacroix, de The Roof. Pierre Chappaz, qui lance ou soutient des start-up Internet depuis une vingtaine d’années, valide : « La prise de décision est évidemment très importante dans le business. En escalade, c’est quel est le prochain mouvement. Quand on crée une start-up, c’est quelles sont les prochaines étapes de développement. » À cette dimension mentale s’ajoute un effort physique total, la grimpe faisant travailler tous les muscles, à la fois en souplesse, en résistance et en endurance. « Il y a trois sports qui permettent d’avoir une musculature relativement équilibrée et ne sont pas trop mauvais pour le corps, même en pratique intensive : l’escalade, la natation et le ski de fond », souligne Benoît Lacroix. Le caractère très complet de ce sport, qui fait marcher la tête aussi bien que le corps tout en étant ludique et convivial, explique qu’il plaise tout particulièrement aux cadres. « Le coeur de notre clientèle, ce sont les CSP+ », affirme Sébastien Kassubeck, cogérant de Blocbuster (deux salles de bloc, à Courbevoie et à La Défense), qui voit dans la salle d’escalade « une alternative ludique à la salle de sport classique un peu rébarbative ». « La majorité de nos clients sont des cadres et des cadres supérieurs », abonde François Petit, de Climb Up.
Une pratique conviviale et ludique
La grimpe touche toutefois un public qui ne cesse de s’élargir, aussi bien en termes d’âge que de sexe – le nombre de pratiquantes est de plus en plus important – et de catégories socioprofessionnelles. « Cela devient difficile de qualifier notre clientèle, elle a tendance à être de plus en plus variée », témoigne ainsi Florent Wolff, associé-dirigeant de la salle de bloc Hueco à Strasbourg. L’un des moteurs de cette démocratisation est le succès exponentiel du bloc, cette escalade sans « assurage », c’est-à-dire sans corde, sans baudrier, bref, sans autre barrière d’entrée que l’achat d’une paire de chaussons. C’est d’ailleurs avec cet objectif affiché d’ouvrir l’escalade au plus grand nombre que Block’Out a lancé sa première salle de bloc en juin 2008, indique Rémi Pelletier, community manager de ce réseau qui compte maintenant six salles (trois en nom propre et trois franchisées) et vise six autres ouvertures en France d’ici à fin 2017. « Le bloc s’y prête bien puisqu’il n’y a pas besoin de compétences spécifiques et que c’est un univers relativement aseptisé », explique-t-il. En outre, cette discipline s’avère encore plus ludique et conviviale que les autres formes d’escalade. Pour Estelle Alliard, 36 ans, kinésithérapeute près de Grenoble et pratiquante de longue date, « chaque bloc est comme une énigme qu’il va falloir décrypter et déchiffrer ». Et si, en bloc, on peut grimper tout seul, on observe que les gens préfèrent grimper en groupe. « La pratique est vraiment génératrice de lien social et de convivialité », remarque Florent Wolff. C’est pourquoi elle exerce une forte attraction sur les jeunes urbains. Nombre d’entre eux pratiquent cette activité sans forcément avoir dans l’idée de mettre un jour un baudrier et d’utiliser une corde. « C’est devenu une activité de gym urbaine », constate effectivement Éric Pinard, gérant d’Espace Vertical, salle d’escalade historique à Grenoble qui a ouvert une antenne spécialisée en bloc en septembre dernier, le Labo.
Ces grimpeurs urbains viennent grossir les rangs d’une population très distincte des montagnards et alpinistes qui s’étaient mis à l’escalade indoor dans les années 1980 pour s’entraîner près de chez eux et pour ne pas perdre la main quand la météo ne permettait pas de varapper. « Des grimpeurs traditionnels, passionnés et pas du tout réceptifs à nos lunettes d’assurage, qu’ils considèrent être un gadget, on est passé à une population plus consumériste, capable d’investir de l’argent dans ce type de produits, dans des vêtements ou encore des crèmes pour les mains », observe Thomas Ferrandi, responsable de la communication et des ventes chez Y & Y Vertical, start-up spécialisée dans les lunettes à prisme qui renvoient l’image du grimpeur à l’assureur sans que ce dernier n’ait à lever la tête.
Au grand dam de certains, ces nouveaux adeptes qui ont découvert la grimpe en salle sont une minorité à faire le chemin inverse de leurs aînés et à aller crapahuter en falaise. « L’escalade peut amener du bloc au mur de difficulté, à la falaise, à la falaise à plusieurs voies puis aux grandes parois, voire au terrain d’aventure et à l’alpinisme, mais relativement peu de pratiquants font ce cheminement aujourd’hui », regrette Michel Chauvin, président du TAG à Tournefeuille, premier club d’escalade de Midi-Pyrénées. « C’est très facile de consommer de l’escalade en salle, tandis que ça demande plus d’engagement de grimper dans la nature, géographiquement pour se rapprocher des sites et techniquement pour apprendre toutes les manipulations de cordes et de matériel spécifiques », analyse Tristan Duchet, dont les Éditions du Chemin des Crêtes proposent des guides d’escalade en extérieur, de trail et de parapente.
Passerelles vers l’outdoor
Comment, alors, attirer les gens vers des milieux non aseptisés, avec un vrai engagement, un goût de l’effort et de l’aventure, s’interroge Nicolas Raynaud, vice-président aux activités de la Fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCAM), en soulignant l’importance de « l’esprit de cordée, de l’engagement collectif dans un milieu naturel et d’exception ». Certains acteurs s’efforcent de répondre à cette question en établissant une passerelle entre l’indoor et l’outdoor : l’UCPA, organisateur de séjours sportifs en plein air, vient de s’associer aux salles The Roof ; le fabricant de matériel d’alpinisme Petzl a organisé au printemps en Alsace la deuxième édition de « J’irai grimper chez vous », un itinéraire sur une dizaine de jours ayant pour objectif d’amener les grimpeurs en milieu naturel ; Bonoway, une application permettant de partager et de télécharger des topos d’escalade (guide décrivant les voies d’un site) sur son smartphone, devrait être lancée dans sa version complète à l’automne.
« Le risque est évidemment beaucoup plus important en escalade naturelle », reconnaît Pierre Chappaz, qui a notamment réalisé la voie mythique du Nose dans la vallée de Yosemite, en Californie. Mais la récompense est également supérieure : « J’éprouve beaucoup de bonheur à être suspendu dans une grande falaise à regarder le paysage en assurant le second et en attendant de faire la longueur suivante en tête », témoigne le président de Teads. Pour Anne Derenne, qui a commencé à grimper dès l’âge de 10 ans dans ce « paradis pour l’escalade » qu’est l’Ardèche, « le plaisir n’est pas le même en salle. Rien ne peut remplacer le contact avec la roche et le fait d’être dans un cadre naturel. » Lionel Terray, alpiniste mythique de l’après-guerre, mort dans le Vercors après avoir gravi les plus hauts sommets du monde, voyait dans les alpinistes des « conquérants de l’inutile », titre d’un de ses ouvrages. À chacun de trouver son propre inutile, ses propres cimes et de les conquérir. À sa main.