Semaine VI : « Le déconfinement ? Non, merci ! ».
Nicolas Santolaria s’interroge cette semaine sur le rejet du retour au « monde d’avant » chez ses enfants, qui, avec une ferveur innocente, ont rapidement réinventé une façon de vivre en partant de zéro.
C’était un matin de confidence, devant un bol de céréales au chocolat : « Moi, je ne veux plus jamais être déconfiné. Le confinement, papa, c’est trop cool ! », m’a dit mon fils de 5 ans. Même si l’enfermement est loin d’être une partie de plaisir pour tout le monde, le sentiment exprimé ici de manière abrupte est partagé – pour des raisons diverses et avec un engouement plus mesuré – par de nombreux adultes. Selon un sondage BVA pour Europe 1 et Orange, un quart des Français espèrent que le déconfinement sera repoussé au-delà du 11 mai, là où 38 % souhaitent qu’il soit lent, et étalé sur plus de deux mois.
Au-delà des craintes sanitaires liées à une reprise de l’épidémie, on peut voir, dans ce refus d’abandonner le cocon domestique, l’aveu qu’il est toujours psychologiquement compliqué de faire le deuil d’un refuge. « Lorsque les conditions nécessaires sont réunies pour que l’individu, enfant comme adulte, vive bien son confinement, il va percevoir ce “temps” de quarantaine comme hors du temps ordinaire, un moment où il est possible de profiter davantage de son chez-soi, de ses parents, ses frères et sœurs, ses animaux. Le logement devient alors un “sociofuge”, soit un lieu qui, en période incertaine, permet d’instaurer une normalité provisoire et rassurante », explique l’anthropologue Fanny Parise.
Le visage hideux du monde d’avant
Pas facile donc de s’imaginer sortir de nouveau de sa bulle et interagir avec ses contemporains alors que rôde, de poignées de main en poignées de porte, un virus potentiellement mortel. Mais ce rejet diffus du déconfinement a incontestablement d’autres racines, qui vont bien au-delà d’un pragmatisme social embarrassé. « Certains craignent que tout s’effondre, d’autres ont peur que rien ne change », résume Fanny Parise. Cette idée que le monde d’après pourrait reprendre le visage hideux du monde d’avant est dans beaucoup de têtes. Lorsque j’ai interrogé mon fils aîné sur la question, il m’a fait savoir qu’il souhaitait être déconfiné le plus tard possible. Pourquoi ? « Je préfère le télétravail, c’est mieux que d’être assis pendant quatre heures sur une chaise. »
En brisant la routine, cette inédite période de quarantaine nous a donc arrachés à l’état d’hébétude dans lequel nous nous trouvions, nous faisant toucher du doigt des évidences alternatives que l’on ne voyait pas. Les enfants ont compris qu’on pouvait continuer à apprendre sans forcément être enfermé entre quatre murs. Les adultes, eux, ont constaté que l’on ne disparaissait pas du monde des vivants parce qu’on cessait soudain de faire du shopping et de prendre l’avion.
A petits pas, le confinement (physique) a débouché sur un déconfinement (mental), soit l’idée que la vie pouvait être vécue différemment, en faisant l’économie d’habitudes superflues, en s’autorisant enfin à penser les choses autrement. C’est Marguerite Duras qui, en 1969, dans une interview télévisée à l’ORTF, appelait de ses vœux cette tabula rasa introspective comme moyen d’inventer une nouvelle société de demain authentique, qui ne serait pas la redite de celle d’hier : « Je crois que si l’on ne fait pas ce pas intérieur, si l’homme ne change pas dans sa solitude, rien n’est possible. Je suis pour qu’on recommence tout. Le départ à zéro. Qu’il n’y ait plus aucune mémoire de ce qui a été vécu. C’est-à-dire de l’intolérable. Sur tous les fronts, sur tous les points. »
Sans le savoir, les enfants ont été les premiers à mettre en œuvre ce programme de révolution intérieure. Avec une ferveur innocente découlant de leur science inégalable du présent, ils ont rapidement réinventé nos façons de vivre en partant de zéro. En s’amusant et sans que personne ne les y invite, les miens ont créé une nouvelle monnaie, le schling, abondante pour tout le monde, car son unité de base est le caillou. Entre deux exercices de maths, quelques bagarres aussi, ils ont monté une structure de soins pour abeilles malades dans deux boîtes à chaussures reconverties en hôpitaux de fortune. Pour tenter de les réanimer, ils ont soufflé avec des pailles sur ces butineuses hagardes, tombées des fleurs dans un semi-coma. J’ai trouvé cela admirable, comme si, parce que tenus à distance des institutions adultes et des contraintes qu’elles imposent, les enfants revenaient d’eux-mêmes, instinctivement, vers les véritables priorités.
Effet similaire chez les adultes
Sensibilité aux animaux, aux pierres, aux végétaux. A notre environnement. Chez certains adultes, le confinement a eu un effet similaire, revivifiant en eux la biophilie réprimée du post-enfant. Ce temps suspendu leur a fait apparaître comme une évidence désirable tout ce à quoi notre société invite quotidiennement à renoncer : l’air pur, l’eau non souillée, le chant des oiseaux, la présence attentive aux siens… Qui, franchement, aurait envie d’être déconfiné pour vivre de nouveau dans ce monde suffoquant où les espèces meurent, les glaciers fondent et les SUV prospèrent ? « Je ne laisserai plus faire. Le premier jour du déconfinement, j’entrerai en résistance active et déverserai des milliers de clous sur mon avenue au moment où des hordes de voitures et de deux-roues se remettront à déferler ! », écrivait sur Facebook un ami à moi. Un post-enfant, manifestement.
Nicolas Santolaria